« Le Sahara aujourd’hui » : Kidal
« Le Sahara aujourd’hui » : Kidal, les populations étouffées manifestent leur ras-le-bol.
Par Mohamed Ag Erless, Chef de la Mission Culturelle d’Essouk, Kidal
Il y a moins d’une année (en septembre 2011) dans un article intitulé « Le site historique d’Essouk pour quel avenir », je m’interrogeais sur l’avenir du patrimoine culturel dans le Sahara malien en général et le Site historique d’Essouk en particulier face la montée de l’intégrisme et la présence des salafistes qui de plus en plus occupaient la région.
Mon inquiétude était de voir un jour tout le patrimoine culturel matériel et immatériel des communautés agressé ou dans les pires de cas détruits. Cette préoccupation est devenue aujourd’hui une réalité d’autant que toutes les régions du nord du Mali sont aujourd’hui occupées par des bandes armées d’AQMI, Ançar Addine, MNLA et des djihadistes venus de l’étranger (Mauritanie, Nigeria, Afganistant, Pakistan, etc) qui ne se soucient ni des droits humains moins encore de l’héritage culturel.
Après avoir détruit le tissu économique et désorganisé la vie sociale des trois régions Tombouctou, Gao et Kidal, ces bandes se sont attaquées à des symboles culturels comme ce fut le cas le plus flagrant, à Tombouctou où ils ont sauvagement détruit des tombeaux de saints et des lieux de mémoire de la citée des trois cent trois saints. C’est toute une histoire qui a été détruite.
À Kidal, le local contenant les archives coloniales ainsi que celles de l’administration malienne, de l’indépendance à nos jours, a été sauvagement saccagé. Les documents ont été soit brûlés ou aspergés d’eau pour les rendre inutilisables. Tout ce qui est monument a fait l’objet de sabotage ou de destruction.
Les droits humains le plus élémentaires ont été bafoués en ce sens que les populations n’ont plus le droit de se vêtir comme à l’accoutumée, de regarder la télévision, de fumer ou de chiquer du tabac, de se réunir en groupe autour du thé dans des grins. Les femmes sont obligées de se voiler et de rester à la maison. L’interdiction leur est faite de monter sur une moto. Ce sont les hommes qui, désormais sont obligés de faire leurs courses et d’acheter les condiments au marcher.
Si ces restrictions ont atteint ce niveau, que dira-t-on des loisirs qui sont le socle, la sève même de toute société ? Au nom d’une certaine religion et des idées obscurantistes, pas question de se livrer aux activités culturelles ancestrales : chants et danses, poésie, contes, proverbes, devinettes, etc. qui constituent la base de l’éducation traditionnelle. Les veillées autour du feu ou dans les concessions au cours desquelles les aînés inculquent aux jeunes les valeurs sociales sont proscrites.
Face à toute cette panoplie d’interdits, la communauté de Kidal se sent complètement comprimée, étouffée, meurtrie. Après Gao et Tombouctou, les jeunes et les femmes ont décidé de braver Ançar Addine et ses alliés, les « Barbus » comme on les appelle dans la capitale de l’Adrar des Ifoghas. La semaine passée (mardi et mercredi), pour exprimer leur ras-le-bol face à la situation qui prévaut actuellement dans la ville de Kidal, en particulier et dans la région, en général, c’est une marée humaine qui, tout au long du parcours sur les grandes artères, a scandé des slogans hostiles aux occupants des lieux. Les jeunes ont enfreint «les règles de la Charia» imposées par la police islamique, telles que ne pas fumer dans la rue. Les femmes, quant à elles, ont laissé tomber le voile. Cela était inimaginable quelques jours auparavant.
Conclusion :
Pour tous ceux qui sont épris de paix et de justice c’est la consternation totale. Si l’on est privé des droits les plus élémentaires, comment aspirer à protéger son patrimoine matériel et immatériel ? La communauté internationale doit s’investir pour protéger des populations qui n’ont pour souci que de profiter de leur espace que Dieu leur donné.